Les nouvelles politiques internationales de contrôle de trafics de matières précieuses et leurs impacts sur les équilibres politiques et sociaux au niveau local – Novembre 2012

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La « première guerre mondiale africaine » a fait plus de cinq millions de victimes entre 1996 et 2004 sur le sol de la RDC, un pays de 60 millions d’habitants. Plus d’une vingtaine de groupes armés (troupes gouvernementales, groupes rebelles et milices locales) ont financé leur effort de guerre grâce à la richesse du sous-sol congolais. Les « minerais de conflits », le tantale, l’étain, le tungstène et l’or, auraient contribué jusqu’à $225 millions au trésor de guerre de différents groupes armés en 2008.

Les minerais sont extraits d’environ 200 sites miniers à l’est du pays, dont la moitié serait contrôlée par des groupes armés. Ils sont acheminés vers les pays voisins, Ouganda, Burundi et Rwanda, puis expédiés par les ports de Mombasa et Dar-es-Salam vers des fonderies principalement asiatiques. Une fois affinés, ils sont vendus aux producteurs mondiaux de composants électroniques, à l’industrie automobile et aéronautique, et aux grands joaillers.

La RDC, dont les mines ne sont pas industrialisées, compte environ un million de creuseurs artisanaux, travaillant à la main dans des puits rarement étayés. Les sites sont difficiles d’accès et faiblement supervisés par une administration impuissante et corrompue, facilitant leur contrôle par des groupes armés. Depuis la fin officielle du conflit en 2004, ni les offensives de l’armée congolaise (FARDC) et rwandaise contre des groupes rebelles, ni les efforts d’intégration de milices dans les troupes régulières, ni le processus de « régimentation » des FARDC en caserne n’ont véritablement diminué l’emprise des groupes armés sur les mines et routes de transport les plus rentables. Certaines brigades des FARDC ont simplement repris les affaires des rebelles en déroute. Des milices, dont le CNDP de Bosco Ntaganda, recherché par la C.P.I., continuent le trafic malgré leur intégration officielle dans l’armée.

Le Groupe d’experts sur la RDC, nommé par le Conseil de sécurité, a défini en 2010 des lignes directrices sur le devoir de diligence à l’attention des sociétés achetant ou traitant des minerais provenant du Congo. Inspirées par le Processus de Kimberley de certification des diamants, les lignes directrices ont entrainé la rédaction du Guide OCDE sur les chaines d’approvisionnement responsables de minerais provenant de zones de conflit. Le Guide requière l’appréciation et la mitigation des risques de conflits ou d’implication de groupes armés sur la mine d’origine, et le déploiement d’un système étanche de traçabilité des minerais du point d’extraction au point d’export. Le Guide a été mis en œuvre par plus de 80 sociétés. Les normes volontaires et règlementaires ont été multipliées depuis 10 ans. Le système « Certified Trading Chain » certifie les pratiques sociales, environnementales et sécuritaires des mines. L’ITRI Tin Supply Chain Initiative (ITSCI) constitue un processus de traçabilité des minerais, dont les sacs sont scellés et enregistrés à différentes étapes de la chaines d’approvisionnement. Le programme « Conflict Free Smelter » établit un référentiel d’audit visant à garantir que les fonderies ne traitent pas de minerais dont la provenance n’est pas certifiée comme « exempte de conflit ». La loi américaine Dodd-Frank exige depuis juillet 2011 des sociétés présentes aux Etats-Unis la publication de leurs mesures de vérification. Mais ses modalités d’application font encore l’objet d’intenses controverses. Une autre demi-douzaine d’initiatives ajoute à la confusion, n’étant pour l’instant pas articulés entre elles.

Nombre de ces mécanismes sont en vigueur depuis 2010. Mais peu d’entreprises en RDC les ont mis en œuvre, malgré leur adoption par plusieurs gouvernements et la CIRGL. Ces nouvelles exigences de transparence, ainsi que l’interdiction de toute activité minière à l’est du pays décrétée par Kinshasa entre septembre 2010 et mars 2011, ont provoqué une recrudescence des trafics vers les pays frontaliers. Le Rwanda voisin a, lui, imposé à son secteur privé certaines de ces initiatives. Mais ses statistiques d’exportation indiquent que des volumes importants de minerais congolais y sont écoulés.

Pour autant, les experts de l’ONU estiment que le financement des groupes armés par le trafic de minerais a diminué depuis l’élaboration des lignes directrices. Mais cela semble dû au fait que les acheteurs soucieux de la provenance de leurs minerais ont jusqu’ici préféré s’adresser à de nouveaux fournisseurs, notamment au Katanga.

De multiples normes sont maintenant déployées. Mais leur application reste tributaire du renforcement de la gouvernance des administrations de la région, et de la coordination entre gouvernements des Grands Lacs.